Vaste est la nuit

Illustration : Alexandre Thomassin

Vous est-il déjà arrivé de déambuler sous un cirque d’étoiles, à l’occasion d’une nuit improviste et de sentir la brise fraîche hérisser le poil de votre bras ? Avec ce sentiment étrange de bien-être et de mélancolie qui vous étreint l’espace de quelques minutes seulement, ce sentiment d’exister, un peu, au milieu de nulle-part ?

En suivant les pas d’Everett et de Fay au cœur d’un épisode nocturne du Paradox Theater, un show fictif rendant hommage aux belles heures de la Twilight Zone de Rod Serling, le spectateur assiste à la mise en abyme de son propre ravissement. Ce couple magnétique, qui accapare immédiatement l’attention, rend crédible, en 50 petites secondes, cette nowhere town imaginaire du Nouveau Mexique.

La question de la distance, des allers-retours et des contours du hors-champ sont essentiels dans le charme qu’exhale ce grand petit film. La distance entre le film et ses spectateurs d’abord : tantôt sujet, tantôt objet, « The Vast of Night » joue sans cesse l’alternance entre le message et le medium, l’adhésion et la mise en abyme, le contenu et le contenant, le dispositif technique et la parole, le croire et la fiction.

Cette même distance trouve un écho in praesentia, dans celle qui sépare et rapproche constamment Everett et Fay, dont les jobs et natures respectives impliquent un sens aigu, à la fois technique et humain, de l’écoute : l’écoute de l’autre, des autres et des pulsations du monde. Alone together, ils reconstituent une parole collective, laissée à l’abandon, comme on reconstituerait un puzzle.  

La distance entre le réel sujet du film – un duo prometteur – et le sujet attendu – le film Roswell -, prétexte pour parler d’autre chose.

La distance enfin, entre un objet archétypal et bien identifié (1), et un premier film original, très écrit et attachant, dont le sujet est ailleurs… Pour citer l’introduction de The Twilight Zone, “You’re moving into a land of both shadow and substance”. 

Dakness on the edge of town
Cette étendue de nuit, qui sert d’intitulé au film, désigne à la fois le hors-champ terrestre (la ville, les autres, le vaste monde), extraterrestre (la présence, quelque part dans le ciel, de soucoupes volantes) et symbolique (l’avenir de nos héros) qui enveloppe Everett et Fay de mystère et de questionnements. Le temps d’une nuit, les teenagers d’American Graffiti se posaient des questions similaires.  

Car ce « vaste » monde, situé au-delà du réel des contours, sombres et un peu flous, de cette ville/fiction et de la perception de nos deux protagonistes sert l’horizon et le sens profond du film. Au travers de ces deux jeunes adultes à la fois bavards et à l’écoute, la technologie balbutiante nous est montrée comme un vecteur d’ouverture sur le monde, un moyen de le décrypter et une fenêtre vers le progrès. La parole et l’écoute, au travers de la technologie, est le premier sujet de « The Vast of Night ».  

Dans leur volonté de décrypter les signaux et le monde qui les entoure, Fay et Everett évoquent les obsessions qui ont servi de motif récurrent à bon nombre de films américains. On pense ainsi aux travaux de Jean-Baptiste Thoret démontrant la façon dont le film d’Abraham Zapruder – l’assassinat de JFK – a été le moteur de cette obsession.

Et ce pas de course là, que nous emboîtons, est teinté d’une mélancolie sensuelle, palpable, mystérieuse. Pour Everett et Fay, respectivement DJ et opératrice aspirant à une carrière de journaliste, la technologie sert le contact, la mise en relation et l’écoute de l’autre. Si vous regardez Nightcrawler de Dan Gilroy ou n’importe quelle « émission » sur Youtube, l’individu prime sur la collectivité. Dans « The Vast of Night », Fay entre en transe lorsqu’elle écoute, tandis qu’Everett plie la technologie à son avantage, de façon pragmatique, dans la construction de son show, entre lien, quête de sens et cartographie des repères. Car pour ces deux personnages, la question fondamentale est : quelle route prendre et pour aller où ?  

Ce qui tient Everett et Fay, c’est ce monde qu’ils ne connaissent pas et qu’il faut écouter pour mieux le comprendre et l’envisager. Le film joue sur une corde nostalgique, celle d’une époque plus simple et moins nombriliste, où la technologie était avant tout une fenêtre ouverte sur le monde. Et c’est en voulant l’écouter et le comprendre que nos deux protagonistes se trouvent aspirés par lui.

Pour nos deux héros, il est important d’avoir « a good story », qui désigne à la fois un article, mais aussi une histoire à raconter. « The Vast of Night » nous rappelle que pour rendre palpable une fiction, il faut une bonne histoire. Et de sacrés bon personnages.

Notes sur l’empathie
Rendre un personnage attachant et crédible peut servir doublement l’histoire que l’on souhaite raconter. Le premier but est de créer de l’empathie, de l’adhésion, voire de la croyance pour tout ce qui touche à son regard, à la position qu’il occupe au sein de l’histoire et à son entourage immédiat ou plus vaste. Cela exige l’écriture d’une histoire, l’écriture de ce personnage au sein de cette même histoire, et l’écriture de ce qui se passe avant, après et au-delà de sa perception immédiate, le hors-champ donc, pour ce personnage mais aussi pour son entourage. Ce procédé sert l’ossature et la crédibilité de la narration, qui part des protagonistes vers le monde qu’ils sont censés habiter. 

Le second effet dramatique, « classique » est de nous faire aimer ce personnage, pour nous l’enlever soudainement. Notre incompréhension et le choc émotionnel que nous éprouvons sont à la hauteur de l’empathie et de la « cote d’amour » que nous avons développé pour ce personnage. Ce procédé renvoie au sentiment de perte que nous traversons tous un jour ou l’autre. C’est la fameuse catharsis, un miroir dramatique qui nous est tendu et qui vient, par le détour d’une fiction, identifier, refléter, expurger, certaines émotions et chagrins de la vie réelle.

Le ravissement d’Everett et Fay est annoncé par le propre ravissement de Fay et le talent pour ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Ainsi la fin de « The Vast of Night » peut faire l’objet d’une double lecture. La disparition ou l’aspiration. Que cette disparition soit la métaphore d’un avenir meilleur pour nos deux héros ou bien marque la disparition d’une curiosité journalistique et humaine pour l’autre au service de la collectivité, celle-ci tombe comme un couperet.

Pendant 1h30 le réalisateur-scénariste Andrew Patterson et son chef opérateur M. I. Littin-Menz nous ont collé aux basques de ces deux jeunes adultes à l’alchimie extraordinaire. Leur sort est également la métaphore d’une autre disparition : celle du cinéma américain, à l’écoute et qui aurait encore quelque chose à nous dire.

Sylvain Thuret
Des jours sans nuit
14.07.2020

Notes
(1) De Welles (« WOTW ») à Carpenter (Christine, They Live et The Fog sont ouvertement cités comme mètre étalons) en passant par Lucas (American Graffiti) et, bien évidemment, Serling, « The Vast of Night » affiche ouvertement ses origines et, en bon trompe-l’oeil, creuse un sillon qui est le sien.

Rosie Blue – Ayo

Rosie Blue – Royal, Ayo, 2020.

Hey Rosie, Rosie, Rosie Blue
Everybody needs some love and, so do you.
Hey Rosie, Rosie, Rosie Blue
Get out of your closet, and put on your purple shoes
.

« Rosie » : la couleur rose est traditionnellement attachée aux femmes, tandis que « Blue » est la couleur des garçons. « Blue » en anglais veut également dire triste. D’entrée de jeu ce sobriquet évoque une personne en perte de repères, entre joie et tristesse et face aux codes imposés par la société en matière de genre (les garçons doivent être comme ci, les filles doivent être comme ça).

« Tout le monde a besoin d’amour, et tu ne fais pas exception ».
Une fois que l’on a compris l’ensemble du texte, cette ligne peut se lire de trois façons :
– La chanteuse garde son amie en mémoire au travers de cette chanson. « To give some love » voulant également dire donner de l’intérêt, du temps, de l’attention à quelque chose, à quelqu’un. En d’autres termes « Je pense à toi, tu comptes pour moi, tu es toujours là ».
– La personne en question avait visiblement un problème d’affirmation de soi. Le texte n’évoque pas de pression extérieure, tout juste un foyer et un milieu qui n’acceptaient pas son orientation. Le ton et le nom Jazzy de la chanson évoque peut-être une époque plus corsetée. « Tu avais le droit d’aimer et d’être aimée ».
– La chanteuse rappelle un besoin universel, auquel tout le monde a droit. Personne ne peut interdire d’aimer. Cela fait partie des libertés de chacun, quelle que soit son orientation.

« Get out of your closet et put on your purple shoes » : ce qui ressemble de prime abord à une invitation enfantine à jouer dehors porte un double sens. Sortir de son « closet » c’est faire son « coming out », révéler sa sexualité / homosexualité. Ce passage me fait beaucoup penser à Prince, qui utilisait les couleurs pour marquer sa différence (Purple Rain, Raspberry Beret) et les protagonistes de Starfish & Coffee. Après le rose et le bleu, le mauve, couleur de l’âme s’invite, pour renforcer l’ambiance Jazzy du titre tout en réaffirmant l’identité de son amie : sa vraie couleur n’est pas le bleu ou le rose imposé par les codes en place.

There was this girl, that I once knew
Let’s just say her name was Rosie, Rosie Blue
Rosie was pretty, although she barely smiled
Her eyes seem dark, and I always wonder
.

Il y avait cette fille que j’ai connue autrefois
Appelons là Rosie, Rosie Blue.
Rosie était jolie, mais ne souriait pratiquement jamais.
Ses yeux étaient sombres et je me demandais souvent ce qu’il y avait.

Rosie never spoke much about her home
She said she love poetry, she even write her own
I met Rosie in my ???
And how I wish that Rosie was still here
Then I would say Rosie, Rosie don’t be so sad
Rosie don’t you know life ain’t all that bad

Elle parlait peu de sa famille.
Elle disait aimer la poésie et même écrire quelques vers
Je l’ai rencontrée ???
J’aimerai tant qu’elle soit encore là.
Je pourrai alors lui dire « Rosie, ne soit pas si triste, tu sais
La vie n’est pas si mal ».

« I wish Rosie was still here » : je pense qu’elle n’a pas su ou pu vivre sa différence et qu’elle en est morte, potentiellement un suicide. La chanteuse continue de lui parler au présent pour faire vivre sa mémoire et affirmer sa foi dans la vie. C’est une chanson qui prone la liberté d’être soi. C’est dans l’air du temps mais c’est très sobre et triste. J’aime beaucoup. Everybody needs some loving, so do you : « Toi aussi tu as le droit d’aimer et d’être aimée, je ne t’oublie pas ».

Oh I wish I knew, that Rosie was depressed.
She couldn’t find love, ’cause her inside was a mess.
In this crazy world we’re living in
There’s too many Rosie Blues.
And if you take a moment, I’m quite sure you might
Think of a few
.

Si seulement j’avais su, qu’elle était en dépression.
Elle n’arrivait pas à trouver l’amour, car au fonds d’elle ça n’allait vraiment pas.
Dans ce monde fou dans lequel nous vivons.
Il y a beaucoup trop de femmes comme elle.
Et si vous prenez le temps d’y réfléchir,
je suis certaine qu’elle vous rappellera quelqu’un.

Hey Rosie, Rosie, Rosie Blue
Everybody needs some love and, so do you
Hey Rosie, Rosie, Rosie Blue
Get out of your closet, and put on your purple shoes

Des jours sans nuit
Sylvain Thuret
juin 2020

Pictures

Ariane doing the Bela Lugosi dance in my apartment, celebrating 4AD’s anniversary, 2009.
L’image contient peut-être : 1 personne, table et intérieur
The music of Christine, 2014.
Our man Leonard Cohen, Olympia, 2012.
« Like arrows, without targets », Porto, 2007.
Joe Dante, Amiens, 2011.
Dan Gharibian, Papiers d’Arménie, 2015.
Comic Con in Villepinte, 2012.
Olivier and Jessica’s wedding, 2012.

Thrasher ou la récolte des années 60 fauchée en plein coeur


Tracer sa route au milieu des rêves perdus. En 1979 Neil Young signe une de ses plus belles chansons avec Thrasher, joyau de l’album live
Rust Never Sleeps.

Alors que les années 70 se terminent, Young dresse un bilan d’une grande mélancolie. Si le Thrasher du titre renvoie à ces machines agricoles dédiées à la récolte du foin et des céréales, faisant écho au titre de l’album Harvest, c’est aussi la métaphore d’une fin. La fin de la période CSN&Y, mais aussi la fin d’une époque abîmée.

They were hiding behind hay bales,
They were planting in the full moon
They had given all they had for something new
But the light of day was on them,
They could see the thrashers coming
And the water shone like diamonds in the dew.

Dans cette première strophe, Young dresse une analogie entre la jeunesse des années 60 et 70 et le travail agricole. Mais quand l’heure de la récolte vient, celle-ci ressemble à s’y méprendre à une menace.

And I was just getting up, hit the road before it’s light
Trying to catch an hour on the sun.
When I saw those thrashers rolling by, looking more than two lanes wide
I was feelin’ like my day had just begun.

Dans la seconde strophe, Young évoque son parcours en solitaire. Il observe et comprend ce qui se passe, mais il préfère avancer en solo. Alors qu’une fin semble tomber sur sa génération, il dit avoir conscience que son chemin à lui ne fait que commencer.

Where the eagle glides ascending
There’s an ancient river bending
Down the timeless gorge of changes, where sleeplessness awaits.
I searched out my companions
Who were lost in crystal canyons
When the aimless blade of science slashed the pearly gates.

Ce qui suit convoque un chemin personnel dans lequel la nature continue de jouer un rôle important. Young se dit en recherche et en phase avec cette nature intemporelle. L’aigle voit, surplombe et vole haut dans le ciel, tandis qu’une « rivière sans âge s’écoule dans les gorges du changement, où attendent de nombreuses nuits blanches ». Cette « insomnie » est peut-être un contrepoint aux célébrations nocturnes de la première strophe. Est venu le temps du doute, de la remise en question. Et alors qu’il nous dit avoir pris un chemin solitaire vers une quête de sens au plus près de la nature, il évoque maintenant ses amis, « qui se sont perdus dans les canyons de cristal, au moment où les lames de la science ont fauché les portes nacrées ». Les canyons de cristal semblent évoquer la drogue, tandis que les « lames » de la science font écho aux lames des machines agricole. Quant à la science elle même… la drogue ne devait pas être perçue comme une menace. Beaucoup en ont abusé, mais le corps n’a pas tenu. C’est une forme de réalité. Les moissonneuses laissent petit à petit place aux parques et à la faucheuse, coupant le fil de la vie. Le paradis promis aux enfants des 60’s est devenu un enfer, de Kent State au Vietnam en passant par l’hécatombe due aux drogues.

It was then I knew I’d had enough
Burned my credit card for fuel
Headed out to where the pavement turns to sand
With a one-way ticket to the land of truth
And my suitcase in my hand
How I lost my friends, I still don’t understand.

« C’est là que j’ai su qu’il fallait déguerpir. J’ai claqué mes derniers deniers pour un peu d’essence. Délaissant le béton pour avancer jusqu’au sable. Avec un simple billet pour le pays de la vérité et ma valise dans la main. Je ne comprends toujours pas comment ai-je pu perdre mes amis ».

Contradiction à nouveau : conscience de soi, d’un chemin solitaire emprunté pour sauver sa peau et avancer (le ton sarcastique du « one ticket to the land of truth », comme si la Vérité existait et comme si c’était une destination que lui seul semblait connaître, au moins pour lui, au risque d’être seul) et pour conséquences les amitiés, et les vies perdues. Cette chanson raisonne aujourd’hui de façon particulière. En ne pensant qu’à lui, Neil s’est séparé de sa femme Pegi, qui est morte peu de temps après d’un cancer.

They had the best selection,
They were poisoned with protection
There was nothing that they needed,
And nothing left to find
They were lost in rock formations
Or became park bench mutations
On the sidewalks and in the stations
They were waiting, waiting.

Je ne comprends pas vraiment le début de cette strophe. Ils avaient la meilleure drogue qui les empoisonnait avec leur sentiment d’être à l’épreuve de tout ? S’ensuit le pivot du texte : « Il se perdirent dans des groupes de rock, ou mutèrent en bancs de parcs, sur la chaussée et dans les stations de métro, ils attendaient… ».

So I got bored and left them there,
They were just deadweight to me
Better down the road without that load
Brings back the time when I was eight or nine
I was watchin’ my mama’s T.V.,
It was that great Grand Canyon rescue episode.

Redite : devant ce constat, il a pris la tangente et laissé tomber ses amis. Le souvenir d’enfance permet de juxtaposer la nature, la drogue et le fait qu’il ait réussi à en réchapper.

Where the vulture glides descending
On an asphalt highway bending
Thru libraries and museums,
Galaxies and stars
Down the windy halls of friendship
To the rose clipped by the bullwhip
The motel of lost companions
Waits with heated pool and air-conditionned bar.

L’aigle est devenu un vautour qui fait un raid sur la culture, la nature et les « vastes halls esseulés de l’amitié », prenant dans son bec la rose coupée du rêve brisé. Et c’est au milieu de ce désert que se dresse le « motel des companions égarés », équipé d’un jacuzzi et d’un bar climatisé. Plus un mirage cheap qu’autre chose.

But me, I’m not stopping there,
Got my own row left to hoe
Just another line in the field of time.
When the thrasher comes, I’ll be stuck in the sun like the dinosaurs in shrines
But I’ll know the time has come to give what’s mine.

« Mais je ne m’arrête pas là. J’ai encore mon champ à labourer. Une ride de plus dans la récolte du temps. Quand la moissonneuse viendra je serai figé en plein soleil, creusant mon sillon tel un dinosaure de musée. Mais je sais que j’aurai au moins donné tout ce que j’ai ». Harvest, then.

Des Jours sans nuit, Sylvain Thuret
Octobre 2019. 

La Cinémamecque n’est pas une Cinémasecte : rencontre avec Vincent Barrot

Dante

A force de traquer les contenus de Jean-Baptiste Thoret sur Youtube, on tombe sur des pépites. Comme cette vidéo hilarante où l’auteur se moque gentiment de lui même en prêtant sa voix à son double en pâte à modeler. A priori dérisoire, ces marionnettes apportent un dialogue qui manque cruellement à notre époque. Autrefois central, le cinéma est devenue une culture périphérique. Mais quelques irréductibles passionnés maintiennent la flamme initiée par Langlois et les frères Lumière. Rencontre avec Vincent Barrot, père de la Cinémamecque.

Comment est née la Cinémamecque ?
La Cinémamecque est née d’un jeu de mots…puis d’ un jeu de modelage. En fréquentant le ciné-club de Jean Douchet, à la Cinémathèque ou au cinéma du Panthéon, j’observais, amusé, le peuple des cinéphiles, une bandes de mecs assidus, passionnés, intelligents, sensibles, parfois sectaires voire intégristes, psychiquement atteints ou complètement fous. Tout un monde dont je fais évidemment partie. J’évite néanmoins, le plus possible d’avoir les cheveux gras, une odeur de fennec et un sac plastique pour talisman… Le cinéphile est pluriel… En bon lecteur de Bouvard et Pécuchet, j’aime les typologies et avec la cinéphilie, on entre dans une Comédie humaine, riche et variée. Je me méfie des puristes, des catalogueurs ou des fabricants de stéréotypes. Dans une foule de spectateurs, il y a plusieurs mondes… Il ne faut pas oublier les « cinéfilles » mais à la Cinémathèque, il y a toujours eu une dominante masculine. Plusieurs films satiriques sont nés de cette période :  Les mecs de la Cinémamecque, Prise de becs à la CinémamecqueLes Pellicules de la Cinémamecque puis Comment parler d’un film sans l’avoir vu ?, La Déterritorialisation et Apocalypse, you know. Je me suis d’abord amusé en parodiant les séances du ciné-club de Jean Douchet, sorte de Cochise, chef d’une tribu d’irréductibles buvant les paroles d’un nouveau Socrate. J’ai inventé un nom d’artiste : Marchouillard ! Mais maintenant, je suis passé à Vincent Barrot… J’ai tellement d’admiration pour les grands cinéastes que j’ai longtemps trouvé ridicule de faire croire que mon nom pouvait être le nom d’un réalisateur. Va pour Vincent Barrot, adieu Marchouillard, j’assume mes petits films sur le cinéma.

Si on remonte dans le temps, la Cinémamecque a digéré différentes influences :

Cinémastock, Rubrique-à-brac de Gotlib (président d’honneur de la Cinémamecque) la dimension parodique des grands de la BD (Franquin, Morris, Uderzo, Goscinny, Hergé, Margerin…), Chapi-Chapo, le coup de crayon fabuleux de Cabu dans Récréa 2 et j’ai été élevé au Muppet show (avec l’hilarant batteur Jean-Marie !!), la série Thunderbirds, les Guignols de l’info… la lecture de Gulliver et de Pinocchio. Ma passion pour les grands dessinateurs de BD m’a conduit au dessin mais je me sens plus à l’aise avec le modelage.

Et puis, j’aime beaucoup l’écrivain Denis Grozdanovich. Il fait partie des gens dont la poésie et la philosophie me font penser à deux de mes poètes préférés : Sempé et Tati. Dans Petit traité de la désinvolture, il fait un portrait saisissant des cinéphiles de la Cinémathèque qu’il appelle « les Tueurs de temps ». Les gens qui se pressent pour aller voir un film avec un sac plastique dans les mains, c’est de la sociologie, une histoire des passants, un peuple qui marche pour aller voir un Bergman ou un Ozu muet ! une poésie singulière !

Pourquoi l’animation?
J’ai fait des films muets ou sonores avec des amis notamment Les Garçon vachers, un western et un péplum philosophique Haltérophilo ! Mais l’animation permet de se créer une petite économie, un décor proche, une manière non pas de faire du cinéma mais « mon cinéma » sur le cinéma, chez moi. Le film de Jean Painlevé sur Le cirque de Cadler a été une révélation pour moi. Comment ne pas vouloir devenir un vieil homme qui s’amuse avec des figurines poétiques ?

J’ai adoré aussi Adam Elliot, ses courts métrages et Mary and Max. Nick Park avec Le mystère du lapin Garou est le Mozart de l’animation tout comme Peter Lord. J’aime beaucoup aussi les films de Tim Burton et ceux de Joe Dante : Small Soldiers et Les Gremlins !!! Dépassé par la technique et la virtuosité de ces maîtres et aimant trop les grands cinéastes, je préfère faire mon petit cinéma que « du cinéma ». Mais je m’intéresse beaucoup à la mise en scène et si on regarde bien un film Cinémamecque, il y a de la mise en scène, ça circule, je tente des raccords, des décalages, plusieurs niveaux de lecture. Je sais que trop de références peut tuer un film mais il y a plusieurs lectures, des clins d’œil qui renvoient à autre chose. La poésie du stop motion est sans fin ! Je suis très sensible à la folie créative de Starevitch ou de Svankmajer. Mais il y a parfois quelque chose de morbide dans le cinéma d’animation… Si on me fige dans le fétichisme, je sors les crocs. Je suis un renoirien convaincu, c’est la vie qui palpite qui m’intéresse. Après avoir parodié Jean Douchet, j’ai fini par avouer à celui-ci que j’avais fait le film que Jean-François Rauger et Bernard Benoliel lui avaient montré. Il avait trouvé mon cinéma « du Pâthéon » « très vivant ». Ca m’a donné envie de continuer. Récemment, « l’amant dans les 400 coups » m’a confié « ta figurine ce n’est pas moi et en même temps, c’est tout à fait moi ». Jean Douchet est un des personnages emblématiques de la Cinémamecque, il a voué sa vie à la transmission, il a sa cour et ses détracteurs mais avant de pousser Pépère dans les orties, certains « jeunes turcs » peuvent aller se rhabiller…

L’idée d’animer des gens assis n’est pas une provocation mais le désir de proposer autre chose. Ce ne sont pas des films « d’agitation » mais à la Cinémamecque, le spectateur a le temps d’observer un petit monde qui nous ressemble. Freud parle de « l’ inquiétante étrangeté » produite par des marionnettes, c’est ce que je recherche. J’aime aussi les décalages (Truffaut à côté de Godard), Bergman à côté de Charles Bronson.

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Pourquoi la pâte à modeler ?
Mes frères étaient de vrais artistes de la pâte à modeler. Très jeunes, nourris aux classique de la BD, comme Blueberry ou Astérix et Lucky Luke. Ils étaient capables de réaliser des tuniques d’indiens magnifiques ! En maternelle, j’étais premier en modelage. Je faisais un bonhomme en quelques secondes. Si ça cassait, je le refaisais en deux temps, trois mouvements, sous l’œil ébahi de ma maîtresse dixit ma mère (objectivité assurée). Et le manque de moyen est un moyen. Qui peut se targuer d’avoir dans son film Orson Welles, Hitchcock et John Ford, côte à côte ? Quand on voit Wallace et Gromit qui partent dans l’espace, c’est vraiment génial et on sent dans Le Mystère du Lapin Garou que rien ne peut arrêter l’inventivité du patamodeleur. Avec de simples moyens, on peut avoir des ambitions démesurés, c’est ce qui est amusant. Faire du grand avec du petit !

Vous parlez de décalage, comme le fait de faire dialoguer Bergman et Bronson. En quoi ce dialogue est-il important ? J’ai l’impression que vous sortez des chapelles en faisant cela. Si je ne connais pas tout ce qui est montré, le geste me semble essentiel.
Je suis un lecteur de Proust (mon dieu avec Gotlib et Franquin, Jacques Rozier, Renoir et tant d’autres) et les coteries, les exclusions, l’élitisme, la condescendance, le snobisme, tous ces mécanismes psychologiques, il les a disséqués et je ne suis plus dupe… Je radiographie assez vite ces petites vanités, ces sentiments de supériorité, ce besoin de sécurité. Certains cinéphiles s’arrogent le droit d’être des propriétaires du bon goût, ils fixent des limites, vont s’asseoir sur des certitudes. Ennemis de la propriété privée, dénoncée par Renoir, ils sont dans leur vie intellectuelle plus capitalistes que les capitalistes. J’ai aussi la manie des listes, je peux croire 5 minutes à la hiérarchie mais récemment Jacques Rozier, cinéaste de chevet me disait : « le meilleur, ça ne veut rien dire ! ». Comme il a raison… Bon, disons qu’il y a Mozart et Bach. Et que Bruce Springsteen est le plus grand artiste sur scène, non ?

Vous me parlez de chapelle, et ce qui m’amuse, c’est que chez les laïcs, il y autant d’excommunications que chez les religieux les plus obscurs. La Cinémamecque est une dictature bienveillante (même si je me méfie de cet adjectif Orwellien), c’est moi tout seul, moi-même, qui choisit les intronisés mais j’aime des cinémas différents. Je suis un inconditionnel de John Woo et de Brian de Palma mais aussi de Bergman. Je trouve Lucio Fulci, John Carpenter ou George Romero géniaux et je peux résister à n’importe quel Straub, même le plus duraille. Othon est un des films les plus incroyables de l’histoire du cinématographe ! Bref, à la Cinémamecque on peut aimer Truffaut et Godard, Straub et Coppola. Les 400 coups et La Chambre verte sont des chefs d’œuvre… le plus intégriste des godardiens n’y peut rien. Et j’ajoute que Godard est un de mes cinéastes préférés. La Cinémamecque, c’est l’anti Cinémasecte. Je n’ai pas lu 3000 pages de mon auteur préféré, Marcel Proust pour devenir snob, verser dans l’exclusion et l’intégrisme. J’ai autant d’admiration pour Franquin et Picasso, Sempé et Rimbaud, Joe Dante et Bergman.

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Le cinéma est-il mort comme le proclame l’émission rennaise du « Cinéma est mort » ?
J’ai fait une maîtrise de cinéma sur la notion d’auteur et « la mort de l’auteur » théorisée par Roland Barthes et Godard n’empêche pas de découvrir de nouveaux auteurs. La mort du cinéma n’empêche pas de découvrir de nouveaux auteurs qui tournent encore en pellicule. Ce qui est certain est que si on abandonne la pellicule, on peut parler de mort du film tourné en pellicule ! Il y a des DCP (NDR : Digital Cinema Package, le cinéma numérique utilisé aujourd’hui dans la plupart des salles) qui sont très beaux ! D’autres qui vitrifient, découpent les personnages et c’est un cauchemar. La poésie de John Ford ou de Murnau, c’est d’abord en pellicule, c’est certain. Et j’ajoute que si vous voyez Le Sicilien de Cimino sur grand écran, vous verrez que même si ce n’est pas La Porte du Paradis, c’est du grand cinéma. Et c’est pourtant un film très décrié. Si on ne comprend pas le génie de Visconti ou de Sergio Leone, la pellicule et le grand écran sont les meilleurs moyens de présenter l’essence de ces œuvres.

J’aime beaucoup Jean-Baptiste Thoret (le critique et le cinéaste). Je le comprends quand il parle de mort du cinéma avec nos amis rennais mais je suis encore très enthousiaste, en voyant des films récents : Mes séances de lutte ou le Rodin de Jacques Doillon sont de grands films ! Les films de Wes Anderson ! Mister fox !!!!

Bruno Dumont, qui passe pour un prétentieux aux yeux mêmes de grands critiques tente des choses très profondes, très inventives sans se noyer dans l’idéologie et les certitudes. Philippe Grandrieux avec White Epilespy fait corps avec la caméra et donne au cinéma une autre respiration, une vibration animale inédite. Bertrand Mandico avec Ultra rêve et Les garçons sauvages fait dériver et renverse le cinéma ! The Assassin de Hou Hsiao-sien est un sommet du cinéma et de la profondeur de champ. Chaque nouveau film d’Hong San-soo réinvente le récit cinématographique… Bref, non, le cinéma bouge encore !

Capture d’écran 2019-10-20 à 12.43.05

Qui sont les plus grands ?
John Ford
Renoir, Chaplin, Keaton mais je vais tricher car il y a Minnelli et tant d’autres. Les films de Murnau…. Et on peut revoir les film muets d’Ozu, ils sont d’une modernité incroyable.

La Cinémamecque ne doit pas se refermer, devenir une caste, une secte, une élite propriétaire du bon goût et d’une bonne esthétique. Je suis stupéfait parfois d’y rencontrer des érudits du cinéma complètement analphabètes quand il s’agit de parler de BD ou de musique. Il est évident qu’un dessin de Franquin, c’est un sommet artistique et que Goscinny, est un univers indépassable ! Uderzo, Morris, Sempé sont des génies. Il faudrait que les gens se rencontrent et arrêtent de penser que Tarkovski est le plus grand. Plus grand que quoi ? Il a fait des films magnifiques mais il ne dépasse pas Mario Bava ou Sergio Leone !!! Pour faire taire les chapelles, il suffit de dire que Mizoguchi, aussi génial soit-il ne contient pas toute la poésie ou l’humour d’Ozu, de Rozier, de Tati ou de Podalydès, la folie de Dario Argento ou la puissance d’un Samuel Fuller, la maestria de Brian de Palma.

Combien de temps passez-vous à modeler, écrire et monter vos films. It looks like a one army job?
C’est un travail de tâcheron. Il est difficile de faire une moyenne. Je pars d’une simple boule de pâte à modeler et il faut trouver une transposition reconnaissable. Le problème, c’est que je me suis pris au jeu de la ressemblance et ainsi, je passe beaucoup plus de temps pour les modelages. En une heure, j’avais fait les bobines des deux inspecteurs farfelus du P’tit Quinquin. Pour faire un Orson Welles ou un Picasso dignes de ces noms, je peux m’y remettre 20 fois et en deux mois, un petit truc peut se produire, le patamodelage fonctionne. Pas de généralité. J’essaye de faire Anna Karina et je n’y arrive pas….

Pour la Cinémamecque, j’aime bien tout contrôler (premier montage, modelages, scénarios, imitations de toutes les voix) mais j’ai rencontré des complices qui ont fait un travail remarquable sur plusieurs films : Marie-Zoé Legendre pour l’animation (de ce qui n’est pas facile à animer : la pâte à modeler), Honza Vrana, Cynthia Delbart, Olivier Daric, Ange Hubert pour le montage et le son… Jean-Baptiste Thoret et Stéphane Bou m’ont prêté leurs voix, ce fut un enregistrement épique à France Inter en une prise ! Un film de réanimation est le premier road-movie dans une salle de cinéma ! Je fais d’habitude toute les voix. Le modelage est manuel et sonore.

Quels sont vos projets ?
J’avais un superproducteur Fabrice Dugast, qui travaillait pour Arte mais nous n’avons pas réussi à financer la Littéramecque… ou la Littérapâte. Un réalisateur de la Cinémamecque aurait adapté une grande œuvre littéraire, en deux minutes, évidemment ! Grâce à Olivier Père et Hélène Vayssières, j’ai pu réaliser 4 épisodes. Après l’aventure Court Circuit, j’ai cru arrêter la Cinémamecque et passer mon temps à lire les grands auteurs… L’opportunité de réaliser un film sur Jafar Panahi a été rendu possible grâce à Sylvie Pras (3 projections au Centre Pompidou). Anne Hélène Hoog a accepté mon projet sur Goscinny (un rêve réalisé mais à quel prix ! J’ai travaillé comme un fou). Le film sera passé en boucle dans deux expositions au Musée d’Art et d’histoire du Judaïsme et actuellement jusqu’en janvier 2019 dans l’Expo Cinémathèque, version Cité de la BD, à Angoulême. Jean-Pierre Mercier, spécialiste de Lucky Luke et la fille de Gotlib ont apprécié le travail et me l’ont dit ! Je garde ce bonheur-là! Je ne me fais pas d’illusion sur le milieu du cinéma, je fais un cinéma artisanal avec mes mains dans un monde bourgeois. Pas facile de nouer de véritables amitiés… En revanche, il y a parfois des surprises, Jean-Philippe Bredel, docker du havre est devenu un mécène de la Cinémamecque, à un moment critique, Antoine De Caunes donne un coup de pouce à la Cinémamecque ! Ce passionné, je ne le remercierai jamais assez ! D’autres amis m’ont aidé pour financer au pas de charge Goscinny, l’irréductible. Je me dis parfois que je ferai la Cinémamecque jusqu’à mon dernier souffle, que les frères Bogdanov et David Cronenberg et Kubrick me permettront d’envoyer mes cocos dans l’espace et que je réussirai à financer Il était une fois la recherche du temps perdu, la rencontre entre l’univers de Proust et celui de Sergio Leone.

Pour visiter la Cinémamecque, rendez-vous sur son site.

Des Jours sans nuit, Sylvain Thuret
Juin 2018-Octobre 2019. 

Better than all the rest

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On venait tout juste de rentrer de vacances. On avait fait du parapente, mangé des hamburgers, mis la musique à fond, fait plusieurs fois le tour de Montriond (impossible de m’en lasser), monté à l’aiguille du midi. On s’était pété le bide à la raclette dans un chouette restau qui sentait le formeton. Je m’étais même pris des vêtements surfwear dans les boutiques de Chamonix. On avait échangé quelques SMS. C’était vraiment de belles vacances. Puis j’ai eu maman au téléphone le lundi qui me dit qu’elle t’a appelé et que ça n’allait pas. Je me dis que je vais laisser passer quelques jours, le temps de poser les valises et de souffler un peu pour avoir l’espace de t’appeler et de te parler. Jeudi soir nous regardions une série qui me faisait penser à toi quand à 22h le téléphone s’est mis à sonné. « Maman ». J’ai dit à Christine, « on regarde la TV là, qu’est ce qui se passe ». Rappel. « Maman ». Je décroche enfin et là j’entends une voix que je ne reconnais pas. « C’est Pascale. La collègue de Florence. Florence ne respire plus ». Je ne comprends pas ce qui se passe. J’ai oublié ce qui a suivi. Maman pleurait. Je n’arrivais pas à parler. J’ai senti une brulure qui est partie du ventre et qui a gagné tout notre appartement. Absolument tout brulait. Toute la nuit a brulé. Je hurlais. Christine a réussi à garder le contrôle malgré le choc et les larmes, et prendre les places pour le premier train. Nous n’avons pas dormi. Pour le trajet j’ai pris des cachets pour essayer de faire retomber l’angoisse. Je respirais mais je n’étais pas là. La seule chose qui m’a maintenu en vie ce jour là et depuis ce sont les bras et l’amour de Christine et le besoin de rejoindre Maman et Papa. Notre vie a pris la direction d’une mauvaise fiction : un monde sans toi. Toi que je révère plus que tout. Je disais j’ai peur. Peur que ça fasse un jour, une semaine, un mois, un an. Deux ans. Aujourd’hui encore j’ai du mal à croire que tu n’es plus là et que tu ne reviendras pas. Je pense à toi sous la pluie, quand le vent souffle sur mon visage, face à l’océan. Quand ton neveu nous décoche un sourire. Je pense à toi tout le temps. Ca fait deux ans maintenant, et le temps s’écoule de ma peine sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Demain nous reprenons le train pour la maison. Ce n’est pas des fleurs que je voudrais t’offrir. Tu me manques. Tu es la meilleure. Ma louloutte.








Ton frère qui t’aime.

Deux ans sans toi.
Le temps s’écoule de ma plaie.
Reste s’il te plait.
Que ton sourire hante mes souvenirs,
Insuffle mon présent, brille notre avenir.
Reviens mille fois en rêve, du matin jusqu’au jardin.
Ne commet pas de trêve et dans chacun de mes souffles, de mes pensées, de mes sourires et nos joies, sois là.
Sois toujours là.

Dis-moi quelque chose.
Que je reste un peu.
Viens me voir.
Repose toi sur mon épaule.
J’aimerai que tu voies les choses différemment.
Mais les vois tu seulement.
Dis-moi ce qui t’atteint.
Que ton sourire s’éveille à nouveau.

Reprendre cette seconde, retrouver ce souffle, renverser le rythme des jours.
Revenir au 14 juillet.
Te prendre si fort dans mes bras.

Des clips et des claps

2018 : Youtube étant bouillu à point, veuillez trouver ci-dessous une sélection de clips marquants. 

Jean-François Coen, La Tour de Pise. Réalisateur : Michel Gondry.

Christine & the Queens, Saint-Claude. Réalisateurs : Camille Hirigoyen, Julien Choquart.

Prince, Sign O the times. Réalisateur : Bill Konersman.

Ah ah, Take on me.

Alain Bashung, La Nuit je mens. Réalisateur : Jacques Audiard.

Alain Bashung, Je passe pour une caravane.

Alain Bashung, Osez Joséphine.

MARRS, Pump up the volume.

Herbie Hancock, Rock it.

Blur, to the end. Réalisateur : David Mould, featuring Alain Resnais.

Johnny Cash, Hurt. Réalisateur : Mark Romanek.

Black, Wonderful Life. Réalisateur : Gerard de Thame.

Leonard Cohen, First we take Manhattan. Réalisatrice : Dominique Isserman.

PPDA et Cohen autour du clip.

Ardisson, Cohen et Isserman autour du clip.

Mon analyse de la chanson er du travail d’Isserman : http://www.leonardcohensite.com/st_firstwetake.php

Leonard Cohen, Dance me to the end of love. Réalisatrice : Dominique Isserman.

Massive Attack, Unfinished Sympathy. Réalisateur : Baillie Walsh.

Bruce Springsteen, Streets of Philadephia. Réalisateurs : Ted Demme, Jonathan Demme.

Michael Jackson, Thriller. Réalisateur : John Landis.

USA for Africa, We Are the world.

Bryan Ferry, Todd Terje, Robert Palmel, John & Mary. Clipeur : ?

Sixteen Horsepower, Hutterite Mile. Featuring des gravures dorées de gens zarbis à moitié à poil.

Yann Tiersen, Dominique A, Monochrome.

Cowboy Junkies, Sweet Jane.

Shane McGowan, Sinead O’Connor, Haunted by the ghost.

Midnight Oil, The Dead Heart.

Deee Lite, Groove is in the heart.

REM, E-Bow the letter. Réalisateurs : Jem Cohen, Michael Stipe.

Elli Meideiros, Toi mon toit.

Neiked, Sexual.

Gotye, Someone I used to know.

Iron, Woodkid. Réalisateur : Yoann Lemoine.

WIP

 

Dazed & Shoegazed

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En checkant les commentaires YT d’un titre de Cigarettes after sex, quelqu’un faisait le rapprochement avec Hope Sandoval. Fuckin A. D’où l’idée de vous parler un peu du shoegazing.

Replongé cet été dans la bio de John Peel, ayant inspiré les créneaux musicaux successifs du soir sur France Interlope depuis Bernard Lenoir – ses Blacks sessions faisant l’écho des Peel Sessions -, je me suis mis à divaguer sur ce qu’était fondamentalement la musique pop anglaise et sa juste place sur le plan mondial, cosmique & beyond.

Un soir des mes 16 ans, j’étais confortablement assis derrière un 386 portable noir et blanc en train de jouer à Alien Breed, tout en écoutant Nanard. Quand soudain, Love songs on the radio des Mojave 3 me mit sur orbite. Il y a des moments comme ça, dans la vie d’un adolescent. T’es seul, tu tombes sur un morceau et tu tombes amoureux de l’amour. J’ai acheté Ask me tomorrow presto, year one. Je le sors en général vers Noel au pied du sapin, « It’s Christmas again, so we lit a candle », very fitting. Tu as le premier Cohen, et puis chez les disciples, pas loin derrière, il y a ce disque. J’ai appelé ça le « Neo Folk » pendant pas mal d’années. Alors qu’en fait ce style très lent, à la mélancolie sous tranxène, porte un nom : Shoegaze. Depuis, dès que j’entends un groupe sublime qui fonctionne à 2 de tens, je me dis « Ca shoegaze pas mal« .

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« Vanished days are hard to find / Half life dreams will not be worth much »

Mais alors, ça veut dire quoi Shoegaze ? Décomposons. Shoe = Chaussure. Gaze = fixer. Le shoegazer, c’est le mec défoncé qui se shoote à Baudelaire dans le texte et qui joue de la musique d’amoureux transi un tantinet nombriliste, en regardant timidement ses pieds / sa pédale wah-wah / les deux. D’après l’histoire officielle cette tendance serait née au Royaume Unique. Loveless de My Bloody Valentine aurait signé l’acte de naissance du  « mouvement » en 91. Mais on en trouve des traces des deux côtés de l’atlantique, de Mojave 3 à Mazzy Star en passant par Jesus & The Mary Chain et This Mortal Coil. C’est très coloré 4AD anyway. En 99 je me suis rendu à Bourges pour voir Palace et Elliot Smith dans la foulée. Nanard était dans la salle. Immense avec un ciré jaune. Pas eu le cran d’aller lui dire bonjour. J’étais au premier rang, avec un couple uniquement venu pour Smith. Will Oldham, pour lequel j’avais pris le train, nous a planté et on nous annonce « Sean & Dean » en remplacement.

Après la déception intiale, j’ai été ébahi devant ces deux types, assis sur deux chaises, deux guitares et deux voix, avec des chansons absolument dingues. Le plus beau concert auquel j’ai assisté. Et donc ce jour là j’ai été à moins de 10 mètres de Dean Wareham, membre du trio Galaxie 500, souvent cité pour la branche US du mouvement et qui a par la suite fondé Luna. Ce soir là ils ne se sont pas présentés sous leur patronyme. Internet était encore en 56K : j’ai mis deux ans à poser la question « Sean & Dean vous avez l’album ? » dans les Fnac avant de savoir qu’il s’agissait des membres de Luna. Dean Wareham, c’est une sorte de beau mec un peu fatigué que serait le croisement musical entre le Velvet et Paul Auster. Je l’ai vu faire le kéké chez Baumbach et j’imagine que Dunham l’a utilisé pour scorer Girls. Superfreaky Memories c’est du Girls avant l’heure anyway.

« Parce que fondamentalement ton mec, dans la vague post Woody Allen, il est moins doué que la Dunham. Là tu gagnes des prix parce que l’autre elle fout plus rien depuis la fin de Girls mais attend qu’elle se remette au boulot et là on est mal ».

Il est aussi question de Ride dans les articles que j’ai pu trouver entre deux siestes de bébé. J’ai réussi à éviter Ride pendant 25 ans. On m’avait donné une cassette promo Warner quand j’étais ado et j’ai récup un album archi soldé chez Virgin avant la fermeture… J’ai un souvenir mitigé. Du pré-Oasis un peu diurétique.

Voilà pour les racines : 89 – 96 dans l’idée. Aussi quelle ne fut pas ma surprise il y a une grosse année de « tomber » sur un morceau lancinant et Shoegaze, d’un groupe sorti la veille du bois, Cigarettes after sex. Apparement, il y a eu un gros push en ligne pour que ça tombe dans les oreilles des internautes, donc je ne mettrai pas ça sur le compte du hasard ou de mes pérégrinations musicales. N’empêche que ça shoegaze pas mal (10 fois la même chanson, sans le push Nothing’s gonna hurt you baby though) et que ça tient sa place à côté de Ask me tomorrow et de So Tonight That I Might See. 1995 all over again… On notera que tout ça a été éclipsé en France par Nirvana, Oasis et les 2Be3.

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« Some kind of night into your darkness / Colors your eyes with what’s not there »

Il y a dans l’esthétique Shoegaze un détachement complet, qui s’apparente au spleen Baudelairien. Le moi est omniprésent tout en reniant la recherche d’une quelconque starification. Musicalement le jingle jangle de guitares saturées et d’effets, hérité de l’approche du Velvet, triturant le son pour rendre compte d’états comateux, dreamy ou contrariés, constitue un matelas sonore étrangement douillet. Il y a aussi des films Shoegaze. Le premier qui me vient à l’esprit est Doom Generation de Gregg Araki, sorti en 95. Je me souviens de Rose McGowan déblaterant « I miss my records » comme si elle parlait de vraies personnes. Richard Linklater aussi, même si ses meilleurs films, la trilogie Hawke-Delpy, sont venus après Slacker et Dazed & Confused. Quant à Wareham, il aurait composé la musique de plusieurs Baumbach en plus de ses caméos.

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Voici une sélection slowcore, assimilable à des drogues dures (je décline toute responsabilité). I couldn’t care less about « Seattle ». Une grande partie du rock des années 90 se joue ici :

Blown a wish, My Bloody Valentine : https://www.youtube.com/watch?v=pVuARAzNnKw

Mojave 3 – Black Sessions 95 : https://www.youtube.com/results?search_query=Mojave+3+Black+sessions

Song to the Siren (Tim Buckley), This Mortal Coil. Si Loveless est régulièrement cité comme un moment phare de l’émergence Shoegaze, le label 4AD avait déjà posé les bases d’un romantisme post punk exacerbé dès 1984. A une époque M6 diffusait ça à partir de minuit. La chanson est utilisée dans Lost Highway de Lynch mais absente de la BO : https://www.youtube.com/watch?v=HFWKJ2FUiAQ

Look on down from the Bridge, Mazzy Star : https://www.youtube.com/watch?v=LwVXkM_YxMg

Waterfall, The Stone Roses :

Nothing to be done, The Pastels. Contribution de Fafa :

Les Sundays. Ah non pas les Sundays.

How fortunate the man with none, Dead can Dance. Cohen + Shining + l’ancien testament en 9 minutes 15 d’absolue révélation. Un voyage à pas cher :

Let me in, REM. En 95 avec Monster, ils ont voulu rappeler leurs débuts, toutes guitares dehors. Ce titre hommage emprunte les codes du Shoegazing… et du Neil Young « bruitiste ». Mur de larsens upfront, paroles criptiques en arrière plan, rythme lancinant, thème introspectif, à mes oreilles un des plus beaux de leur répertoire et digne de figurer ici. https://www.youtube.com/watch?v=JxRHKnET6i0

Nothing’s gonna hurt you baby, Cigarettes after sex : https://www.youtube.com/watch?v=R2LQdh42neg

Et le classique des classiques, Just Like Honey, Jesus & The Mary Chain : https://www.youtube.com/watch?v=R2LQdh42neg

Sylvain Thuret – Des Jours sans nuit
Août 2018

Plus
« Who killed Shoegaze? », The Quietus, 2016 :
http://thequietus.com/articles/19489-shoegaze-ride-slowdive-mbv

Sue perdue chez Riens du tout

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Avec Jeune Femme, deux fusées décollent sous nos yeux : Laetitia Dosch, dont l’énergie débordante sidère de la première à la dernière seconde. Et la réalisatrice Léonor Serraille, nouvelle venue au sein du cercle très emprunté du cinéma intimiste Français.

Entre Amos Kollek, les Klapisch première main et les Apprentis, Jeune Femme dresse le portrait d’une trentenaire errant dans Paris. Fille perdue cheveux roux, Paula ne répond en rien aux diktats des lady million et starlettes instadrame qu’on nous vend à longueur de journée. Son parcours, semé de galères au ras du pavé – le manque d’argent, pas de toit, pas de job, pas d’amis, pas de mec, des soucis familiaux –  révèle une force de caractère : à deux doigts de sombrer, Paula avance et de fil en rencontres, s’accroche au lieu de raccrocher. C’est toute l’énergie de cette jeunesse qui n’a rien et qui doit survivre pour avoir le minimum syndical. Ce qu’on avait essayé de nous vendre avec La Guerre est déclarée mais qui sonnait faux et qui était déjà un peu plus raccord dans Les Combattants. Les jabs envers la gauche bobo allo-à l’huile sont d’ailleurs assez savoureux : l’ex, artiste insupportable qui plane à 10 000, la bonne copine BSTR qui la jette en 2-2, la jeune mère de famille faussement cool, qui l’exploite en la laissant vivre dans un trou à rats et se révèle aussi froide qu’une porte de prison.

Film situé à Paris mais qui ne semble jamais parisianiste, Jeune Femme pose une caméra abrupte sur des morceaux de quotidien, des rencontres éphémères, certaines se développent, d’autres non. Toutes empruntes de bienveillance et de respect mutuel. Des êtres seuls au milieu d’une grande ville, en quête de human touch.

Plein cadre, ce portrait cinéma vérité dévoile une énergie brute, sans fard et à l’écoute. Un style qui renvoie tous les films « prestige » (sic) de la production Française actuelle à leurs petites affaires. Là il y a de l’énergie à revendre. Et une tracklist du feu de dieu.

Avec le Suzanne de Quillevéré, un de nos coups de coeur franchouille de ces dernières années.

SylKiks – Des Jours sans nuit.
Août 2018.