This Mortal Coil

Dazed & Shoegazed

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En checkant les commentaires YT d’un titre de Cigarettes after sex, quelqu’un faisait le rapprochement avec Hope Sandoval. Fuckin A. D’où l’idée de vous parler un peu du shoegazing.

Replongé cet été dans la bio de John Peel, ayant inspiré les créneaux musicaux successifs du soir sur France Interlope depuis Bernard Lenoir – ses Blacks sessions faisant l’écho des Peel Sessions -, je me suis mis à divaguer sur ce qu’était fondamentalement la musique pop anglaise et sa juste place sur le plan mondial, cosmique & beyond.

Un soir des mes 16 ans, j’étais confortablement assis derrière un 386 portable noir et blanc en train de jouer à Alien Breed, tout en écoutant Nanard. Quand soudain, Love songs on the radio des Mojave 3 me mit sur orbite. Il y a des moments comme ça, dans la vie d’un adolescent. T’es seul, tu tombes sur un morceau et tu tombes amoureux de l’amour. J’ai acheté Ask me tomorrow presto, year one. Je le sors en général vers Noel au pied du sapin, « It’s Christmas again, so we lit a candle », very fitting. Tu as le premier Cohen, et puis chez les disciples, pas loin derrière, il y a ce disque. J’ai appelé ça le « Neo Folk » pendant pas mal d’années. Alors qu’en fait ce style très lent, à la mélancolie sous tranxène, porte un nom : Shoegaze. Depuis, dès que j’entends un groupe sublime qui fonctionne à 2 de tens, je me dis « Ca shoegaze pas mal« .

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« Vanished days are hard to find / Half life dreams will not be worth much »

Mais alors, ça veut dire quoi Shoegaze ? Décomposons. Shoe = Chaussure. Gaze = fixer. Le shoegazer, c’est le mec défoncé qui se shoote à Baudelaire dans le texte et qui joue de la musique d’amoureux transi un tantinet nombriliste, en regardant timidement ses pieds / sa pédale wah-wah / les deux. D’après l’histoire officielle cette tendance serait née au Royaume Unique. Loveless de My Bloody Valentine aurait signé l’acte de naissance du  « mouvement » en 91. Mais on en trouve des traces des deux côtés de l’atlantique, de Mojave 3 à Mazzy Star en passant par Jesus & The Mary Chain et This Mortal Coil. C’est très coloré 4AD anyway. En 99 je me suis rendu à Bourges pour voir Palace et Elliot Smith dans la foulée. Nanard était dans la salle. Immense avec un ciré jaune. Pas eu le cran d’aller lui dire bonjour. J’étais au premier rang, avec un couple uniquement venu pour Smith. Will Oldham, pour lequel j’avais pris le train, nous a planté et on nous annonce « Sean & Dean » en remplacement.

Après la déception intiale, j’ai été ébahi devant ces deux types, assis sur deux chaises, deux guitares et deux voix, avec des chansons absolument dingues. Le plus beau concert auquel j’ai assisté. Et donc ce jour là j’ai été à moins de 10 mètres de Dean Wareham, membre du trio Galaxie 500, souvent cité pour la branche US du mouvement et qui a par la suite fondé Luna. Ce soir là ils ne se sont pas présentés sous leur patronyme. Internet était encore en 56K : j’ai mis deux ans à poser la question « Sean & Dean vous avez l’album ? » dans les Fnac avant de savoir qu’il s’agissait des membres de Luna. Dean Wareham, c’est une sorte de beau mec un peu fatigué que serait le croisement musical entre le Velvet et Paul Auster. Je l’ai vu faire le kéké chez Baumbach et j’imagine que Dunham l’a utilisé pour scorer Girls. Superfreaky Memories c’est du Girls avant l’heure anyway.

« Parce que fondamentalement ton mec, dans la vague post Woody Allen, il est moins doué que la Dunham. Là tu gagnes des prix parce que l’autre elle fout plus rien depuis la fin de Girls mais attend qu’elle se remette au boulot et là on est mal ».

Il est aussi question de Ride dans les articles que j’ai pu trouver entre deux siestes de bébé. J’ai réussi à éviter Ride pendant 25 ans. On m’avait donné une cassette promo Warner quand j’étais ado et j’ai récup un album archi soldé chez Virgin avant la fermeture… J’ai un souvenir mitigé. Du pré-Oasis un peu diurétique.

Voilà pour les racines : 89 – 96 dans l’idée. Aussi quelle ne fut pas ma surprise il y a une grosse année de « tomber » sur un morceau lancinant et Shoegaze, d’un groupe sorti la veille du bois, Cigarettes after sex. Apparement, il y a eu un gros push en ligne pour que ça tombe dans les oreilles des internautes, donc je ne mettrai pas ça sur le compte du hasard ou de mes pérégrinations musicales. N’empêche que ça shoegaze pas mal (10 fois la même chanson, sans le push Nothing’s gonna hurt you baby though) et que ça tient sa place à côté de Ask me tomorrow et de So Tonight That I Might See. 1995 all over again… On notera que tout ça a été éclipsé en France par Nirvana, Oasis et les 2Be3.

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« Some kind of night into your darkness / Colors your eyes with what’s not there »

Il y a dans l’esthétique Shoegaze un détachement complet, qui s’apparente au spleen Baudelairien. Le moi est omniprésent tout en reniant la recherche d’une quelconque starification. Musicalement le jingle jangle de guitares saturées et d’effets, hérité de l’approche du Velvet, triturant le son pour rendre compte d’états comateux, dreamy ou contrariés, constitue un matelas sonore étrangement douillet. Il y a aussi des films Shoegaze. Le premier qui me vient à l’esprit est Doom Generation de Gregg Araki, sorti en 95. Je me souviens de Rose McGowan déblaterant « I miss my records » comme si elle parlait de vraies personnes. Richard Linklater aussi, même si ses meilleurs films, la trilogie Hawke-Delpy, sont venus après Slacker et Dazed & Confused. Quant à Wareham, il aurait composé la musique de plusieurs Baumbach en plus de ses caméos.

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Voici une sélection slowcore, assimilable à des drogues dures (je décline toute responsabilité). I couldn’t care less about « Seattle ». Une grande partie du rock des années 90 se joue ici :

Blown a wish, My Bloody Valentine : https://www.youtube.com/watch?v=pVuARAzNnKw

Mojave 3 – Black Sessions 95 : https://www.youtube.com/results?search_query=Mojave+3+Black+sessions

Song to the Siren (Tim Buckley), This Mortal Coil. Si Loveless est régulièrement cité comme un moment phare de l’émergence Shoegaze, le label 4AD avait déjà posé les bases d’un romantisme post punk exacerbé dès 1984. A une époque M6 diffusait ça à partir de minuit. La chanson est utilisée dans Lost Highway de Lynch mais absente de la BO : https://www.youtube.com/watch?v=HFWKJ2FUiAQ

Look on down from the Bridge, Mazzy Star : https://www.youtube.com/watch?v=LwVXkM_YxMg

Waterfall, The Stone Roses :

Nothing to be done, The Pastels. Contribution de Fafa :

Les Sundays. Ah non pas les Sundays.

How fortunate the man with none, Dead can Dance. Cohen + Shining + l’ancien testament en 9 minutes 15 d’absolue révélation. Un voyage à pas cher :

Let me in, REM. En 95 avec Monster, ils ont voulu rappeler leurs débuts, toutes guitares dehors. Ce titre hommage emprunte les codes du Shoegazing… et du Neil Young « bruitiste ». Mur de larsens upfront, paroles criptiques en arrière plan, rythme lancinant, thème introspectif, à mes oreilles un des plus beaux de leur répertoire et digne de figurer ici. https://www.youtube.com/watch?v=JxRHKnET6i0

Nothing’s gonna hurt you baby, Cigarettes after sex : https://www.youtube.com/watch?v=R2LQdh42neg

Et le classique des classiques, Just Like Honey, Jesus & The Mary Chain : https://www.youtube.com/watch?v=R2LQdh42neg

Sylvain Thuret – Des Jours sans nuit
Août 2018

Plus
« Who killed Shoegaze? », The Quietus, 2016 :
http://thequietus.com/articles/19489-shoegaze-ride-slowdive-mbv